SÉNÉGAL : LES LOYERS EXPLOSENT À DAKAR
Entre 1994 et 2014, les loyers ont augmenté de 256 %. Une hausse qui s’est poursuivie depuis au même rythme selon les spécialistes du marché immobilier.
Dieye Sarr habite avec sa famille depuis douze ans dans un petit appartement du quartier populaire de Grand Yoff à Dakar. Mais depuis qu’il a refusé une augmentation de son loyer, l’agence immobilière qui gère son logement lui rend la vie impossible. « Un huissier est venu trois fois alors que j’avais à chaque fois moins d’un jour de retard de paiement du loyer. Et je n’ai jamais eu d’arriérés », se plaint-il.
Menacé d’expulsion, il est maintenant convoqué au tribunal de Dakar pour avoir refusé de payer les frais d’huissier. Il soupçonne son bailleur de vouloir le faire partir pour relouer son appartement à un prix plus élevé. « Si je me fais expulser, je ne sais pas comment je vais trouver un nouveau logement car les loyers sont devenus trop chers », s’inquiète le père de famille.
Ce scénario est de plus en plus fréquent, constate Elimane Sall, président de l’Association de défense des locataires du Sénégal (ADLS) pour qui l’augmentation exorbitante des loyers à Dakar dépasse l’entendement. « Nous sommes sollicités chaque jour par cinq à dix locataires qui demandent des conseils, souvent suite à une assignation en vue d’une augmentation de loyer », explique le militant, qui estime que plus de la moitié des revenus des Dakarois est désormais absorbée par le loyer, diminuant leur pouvoir d’achat.
Capitale active implantée sur une étroite presqu’île, Dakar compte plus de 3,7 millions d’habitants. Soit le quart de la population sénégalaise, estimée à 17 millions de personnes qui sont regroupées sur 0,3 % du territoire. Confrontée à une croissance démographique et un exode rural élevés, la capitale économique et politique est submergée et l’offre de logements n’est pas suffisante pour éponger la demande.
« Beaucoup de spéculation »
Entre 1994 et 2014, les loyers ont augmenté de 256 % dans la région de Dakar, selon des données gouvernementales. Une hausse qui s’est poursuivie depuis au même rythme selon les spécialistes du marché immobilier.
« Les prix ont continué à augmenter de façon drastique car il y a beaucoup de spéculation. Par exemple, un bien qui était loué à 150 000 francs CFA [quelque 230 euros] par mois en 2014 est maintenant loué à 350 000 [environ 530 euros] », observe Abdoul Diedhiou, manager de l’agence Mon agent immobilier, précisant que de plus en plus de riches investisseurs de la sous-région – comme des Ivoiriens ou des Nigériens – achètent des terrains au Sénégal du fait de la stabilité politique du pays.
Cette stabilité attire aussi les entreprises, institutions et organisations internationales comme l’ONU qui installent leur siège régional à Dakar. L’afflux d’expatriés dotés d’un pouvoir d’achat largement supérieur aux Dakarois participe à la flambée des prix dans certains secteurs de la capitale.
« Beaucoup d’agences immobilières et de propriétaires souhaitent uniquement louer aux étrangers et ont refusé mon dossier », regrette Kathy Diop, Sénégalaise de la classe moyenne. Cette professeure de français et d’anglais à domicile cherche un appartement F2 dans le quartier huppé des Almadies depuis plusieurs semaines sans succès.
Même dans les quartiers les plus populaires
Mais la hausse des loyers se retrouve dans tous les quartiers, même les plus populaires. Selon Mamadou Mbaye, président de la Fédération des agences et des courtiers immobiliers du Sénégal, 56 % des habitants de la capitale sont locataires tant il est difficile et coûteux d’acquérir un bien.
« D’abord, le foncier est très cher à Dakar car il n’y a plus de place, les financements par les banques sont inaccessibles avec des taux d’intérêt qui dépassent les 10 %, la fiscalité ne cesse d’augmenter et le coût de construction est élevé », liste M. Mbaye. Des facteurs qui freinent l’investissement dans l’immobilier et qui ont un impact sur les loyers : les bailleurs ne cessent de les relever pour tenter de gagner en rentabilité.
Pourtant, l’Etat avait essayé en 2014 de réguler les prix avec une loi imposant une baisse de 4 à 29 % en fonction du montant du loyer. La législation enjoignait aussi de tenir compte de la taille du logement et d’autres critères comme sa vétusté ou son emplacement dans l’agglomération.
Mais dans la pratique, les propriétaires ont continué à fixer leur prix librement en fonction du marché. « Les propriétaires expulsent leurs locataires, en expliquant vouloir faire des travaux ou occuper eux-mêmes leur logement. Après un coup de peinture, ils le louent de nouveau à un prix plus élevé », ajoute Elimane Sall, président de l’ADLS.
L’échec de la réglementation
Amadou Thiam, directeur général de la construction et de l’habitat au ministère de l’urbanisme reconnaît l’échec de la loi de 2014. « Malgré la réglementation qui encadre les loyers, les prix ont flambé de nouveau depuis 2019 », note-t-il. En réponse, le ministère travaille sur un projet de construction de 100 000 logements destinés à la vente.
L’objectif : baisser la demande en location et donc les loyers. « Nous visons les primo-accédants, qui souvent travaillent dans l’informel et ont des difficultés à accéder au financement. Nous mettons à leur disposition un fonds pour l’habitat social afin de les solvabiliser », explique M. Thiam.
Pour le moment, 28 000 logements sont en cours de construction en périphérie de Dakar et à l’intérieur du pays, et 53 000 autres devraient suivre grâce à des investissements du Qatar et des Emirats arabes unis. « La question de Dakar ne peut pas être réglée en restant à Dakar. Il faut une politique de décongestionnement », précise M. Thiam, qui vante la nouvelle ville de Diamniadio, à 40 kilomètres de Dakar, où ont été délocalisés certains ministères.
Les spécialistes et acteurs du marché immobilier préconisent d’aller plus loin et d’explorer d’autres pistes, comme la construction de logements sociaux locatifs. « Une politique de loyer social et modéré permettrait de réguler le marché », estime ainsi l’agent Abdoul Diedhiou. Ils sont aussi nombreux à réclamer la mise en place d’une agence gouvernementale de régulation des prix des loyers et du secteur.
Selon Amadou Thiam, un observatoire des loyers devrait justement voir le jour d’ici au mois d’octobre. En attendant, Dieye Sarr est angoissé à l’idée de passer devant le tribunal début septembre où il saura s’il est expulsé ou non.