Aliou Cissé : Incompréhensions autour d’un lynchage
Mardi dernier, le Sénégal a conclu sa campagne des éliminatoires de la Coupe d’Afrique des Nations 2022 par un match nul surprenant (1-1) contre la modeste équipe de Eswatini. Une réelle contre-performance comme beaucoup d’équipes en connaissent durant un parcours de championnat ou de coupe et qui fait la beauté du sport. D’ailleurs, le lendemain le monde du football a enregistré un véritable séisme lorsque l’Allemagne, quadruple championne du monde, a subi un revers à domicile (1-2) contre la nouvelle république de Macédoine du Nord, classée 65ème au classement FIFA.
Cette contre-performance de l’équipe allemande est beaucoup plus inquiétante que celle de l’équipe du Sénégal, quand on sait que les hommes de Joachim Löw jouaient seulement la troisième journée d’une qualification de coupe du monde désormais incertaine, alors que les lions étaient qualifiés depuis longtemps avant le duel contre l’ancienne Swaziland.
Mais voilà, au Sénégal, ce résultat a donné lieu chez certains observateurs à une énième campagne de dénigrement contre le sélectionneur national. Durant cette curée médiatique, ceux-là en ont même appelé au limogeage pur et simple…de l’entraîneur qui dirige la première nation africaine au classement FIFA, la première sélection à s’être qualifiée pour cette prochaine CAN au Cameroun, qui plus est en terminant la phase poule invaincue. Le Sénégal n’aura connu qu’une seule fausse note durant cette campagne : ce match nul contre Eswatini, qui rappelons-le intervient dans un contexte particulier où le sélectionneur a procédé à une large revue d’effectifs pour intégrer de nouveaux joueurs. Ce qui n’a pas aidé à faciliter les automatismes. Un contexte également où il était difficile pour beaucoup de cadres de l’équipe de se montrer réellement motivés dans une rencontre dénuée d’enjeux, alors que des échéances importantes les attendent dans leurs clubs. On pense notamment à Sadio Mané et Idrissa Gana Gueye engagés la semaine prochaine lors des quarts de finale de la ligue européenne des champions. Sans oublier les aléas d ‘une préparation tronquée par la réticence des clubs d’envoyer leurs joueurs en pleine pandémie de covid-19, et la mauvaise qualité de la pelouse du stade Lat Dior. Tout un ensemble de facteurs qui peuvent, sinon justifier, du moins expliquer ce résultat inhabituel.
Un procès en légitimité perpétuel
Toutefois, le principal enseignement des jours qui ont suivi le match contre l’Eswatini est le procès perpétuel en légitimité qui vise Aliou Cissé depuis sa prise de fonctions comme sélectionneur en 2015. Pourtant dans l’histoire du Sénégal, aucun sélectionneur n’a dans la durée réalisé des performances aussi régulières que Cissé. En six ans, l’ancien joueur du PSG a toujours qualifié son équipe pour les phases finales de CAN, faisant désormais du Sénégal un habitué, ce qui ne fut pas toujours le cas dans un passé proche. Il a également ramené le Sénégal en coupe du monde, 16 ans après sa dernière participation à la grande messe du football mondial, devenant par la même occasion le seul entraîneur d’Afrique subsaharienne de la compétition. C’est lui également l’architecte de la présence du Sénégal en finale de la CAN 2019, 17 ans après notre dernière apparition à ce niveau de la compétition. Il a en outre rendu l’équipe nationale du Sénégal, moribonde avant sa prise de fonctions, beaucoup plus attractive renouvelant considérablement l’effectif et attirant des binationaux tels que Kalidou Koulibaly, Diao Baldé Keita et tout récemment Abdou Diallo, ancien capitaine de l’équipe de France espoirs.
De tels résultats obtenus par un sélectionneur local ont forcé le respect chez beaucoup d’observateurs internationaux qui ont vu en Aliou Cissé et son homologue et ami sélectionneur algérien, Djamel Belmadi, des exemples à suivre pour l’ensemble du continent. Mais au Sénégal, le moindre match nul obtenu par Aliou Cissé est prétexte à un déchaînement qui frise la haine, comme ce fut le cas après le match contre le Congo, quand on sait combien il est difficile de gagner un match à l’extérieur en Afrique. En atteste le match nul (2-2) concédé par l’Algérie, championne d’Afrique en titre, au Zimbabwe, durant cette campagne.
Cela ne traduit-il pas finalement un certain complexe d’infériorité dans une partie du subconscient national, encore prisonnière du mythe du « sorcier blanc »?
A croire que l’adage dit vrai lorsqu’il affirme que « nul n’est Prophète en son pays ».