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Contribution: « UN PEUPLE, UN BUT, UNE FOI », CETTE DEVISE VOUS PARAIT-ELLE ACTUELLE ? Par Bocar Diallo

 

Dans son premier discours inaugural, le Président ClINTON estimait, le 20 janvier 1993, que « chaque génération d’Américains se doit de dire ce qu’est un Américain. » Dans cette optique, vingt-et-huit années plus tard, prenant conscience de cette secousse tendant à fragiliser voire à ébranler une certitude presque vénérable et indéboulonnable, une invocation de cette déclaration Clintonienne nous permettrait, sans nul doute, de la réactualiser en taillant son étoffe sur mesure de notre actualité nationale.

Disons-le, nous vivons des moments de terribles épreuves, nous assistons à des débats aux allures « d’ ébats libertins »; nous nous frottons des étincelles aux relents identitaires incendiaires qui, sont, en train de dénaturer les esprits, de remettre dangereusement et regrettablement l’essence de notre devise nationale sapant par voie de conséquence le soubassement de notre conscience considérée jusque-là impérissable.

Que dis-je? L ’orage s’annonce. Le doute s’installe. La peur s’empare des hommes et le désarroi gagne les cœurs à la lueur de ce qui s’est déjà passé. Pis, au regard des discours des influenceurs-provocateurs qui ne pronostiquent, du reste, rien de pacifique, l’on est en droit de craindre le pire.Les valeurs intellectuelles et morales s’érodent et se dégradent journellement avec une vitesse d’éclair.
C’est dans cet ordre d’idées que Paul Valéry, au lendemain de la Première Guerre Mondiale, dans ses VARIÉTÉS III, au chapitre intitulé: LA POLITIQUE DE L’ESPRIT, abattu et désespéré laissait entendre cette célèbre et parlante phrase en son époque et qui n’a rien perdu de son actualité et de sa fraîcheur : « un frisson extraordinaire courut la moelle de l’Europe. » Nous sommes, désormais, en droit de nous demander si nous devons continuer à dormir sur nos lauriers comme si de rien était ?

Cet îlot de paix dans un océan d’iniquité, ce Sénégal des nôtres, est-il dans l’épreuve de l’âbime de l’histoire ? Devons-nous adopter une attitude stérile de spectateurs et nous regarder en chiens de faïence au détriment des intérêts du Pays et du Peuple ? Faut-il juguler ce mal qui menace la concorde nationale ? Faut-il s’attaquer à son fœtus pour le tuer dans l’œuf ? A l’instar de la recommandation de Clinton, qu’est-ce que chaque sénégalais, chaque sénégalaise de notre génération doit savoir? Qu’est-ce qu’être sénégalais ? Qui sommes-nous, chers jeunes de tous les bords, de tous les statuts et de toutes les conditions ? Comment continuer à vivre ensemble pour ne pas sombrer dans la crise de l’esprit et la déraison humaine discordante et ruinante? Sommes-nous prêts à déchirer cette page immaculée de ce Pays de la Téranga pour salir son honneur et souiller sa réputation et ce à jamais? Qui aurait des épaules assez larges pour supporter cette souillure devant Dieu, devant le peuple, devant l’humanité et devant l’histoire ?

Notre si exceptionnel Pays, le Sénégal, est la synthèse mouvante du pluralisme culturel sans compartimentage ni exclusion sociale aucune. Equipage d’un même navire, « SUNUGAL », où les hommes se considèrent tous comme des frères attelés aux mêmes tâches : L’HOSPITALITÉ LÉGENDAIRE ET PLURI- SÉCULAIRE, LA SOLIDARITÉ AGISSANTE ET HARMONISANTE, LA PAIX SOCIALE. Nous sommes, en effet, plus de 17 millions de sénégalais embarqués « épaule contre épaule » sur un même bateau voguant vers une destination où le stupide préjugé sur UNTEL éthnie et l’égocentrisme attentatoire sur UNTEL portion du Pays sont extirpés de nos cœurs pour nous exorciser du démon de la haine en nous associant dans un espace pacifié. Nous sommes un Pays qui a toujours compris qu’il est bon que les civilisations s’opposent pour, comme le disait Antoine de Saint-Exupéry, « favoriser des synthèses nouvelles ». J’allais dire à sa suite une synthèse nouvelle, fécondante et solidarisante. Toutefois, il serait horrible qu’elles se heurtent. Elles seraient surannées, décapantes et décadentes, dans ce cas de figure. D’ailleurs, je m’en vais vous donner un exemple éloquent en guise d’illustration. Lorsque j’étais à COUBANAO mon premier poste d’enseignement, dans les KALOUNAYES aux sons vibrants des KOUSSOUMAYES, cette partie de la Casamance comme le sont le BLOUF, le FOGNY, le KASSA et le BANDIAL ; j’y ai vécu et j’y ai appris tant d’enseignements.Dans cette contrée du Sénégal, des cultures y sont imbriquées, elles s’y comparent et s’y solidarisent fraternellement sous l’excitation doublée d’une émulation et d’un brassage culturel.
À l’occasion des cérémonies culturelles des Diolas telles que le KOUMPO, le SAMAY, le GOMELA, le « A YONGO-YONGO », l’AGNIFANE, le DIAMBADONG, le BOUKOUTT, le SOUNAY, le NIKAYY, le BOU GUEUREUB etc. C’est au cours de l’une d’elles, HAAL PULAAR que je suis, j’ai assisté à une démonstration d’un fait de large compréhension qui a fini à me convaincre sur l’entente fraternelle et l’indomptable accord des cultures dans cette partie du Sud dans la complète égalité des éthnies de ce melting-pot. C’est ce qu’on appelle la tolérance dans l’hétérogénéité homogénéisante. Le Sénégal a toujours réussi cette opération d’alchimie en raccommodant la pluralité des éthnies, des religions et des origines géographico-religio-éthniques. Comme les Américains dont la devise nationale est « IN GOD WE TRUST », nous aussi nous le disons fièrement et plus haut que les Américains. Cependant, cela ne les a pas pour autant poussés à imposer la prière obligatoire partout et pour toutes les obédiences. C’est cela aussi la démocratie. Il sied d’épouser et de faire épouser les réalités locales. Qu’on se rappelle, d’Ernest RENAN. C’est-à-dire des personnes libres même si elles évoluent sociologiquement dans des contrées et cultures différentes les unes des autres. N’est-ce pas là encore la devise de l’époque de la création des Etats-Unis « E PLURIBUS, UNUM » c’est-à-dire « de plusieurs, un ». Alors n’eut été la tolérance les Etats-Unis n’allaient jamais réussir à s’unifier malgré la complexité de leur multiculturalisme.
Sur un autre tableau qui s’apparente à celui des Etats-Unis, il est à souligner que le multiculturalisme existait depuis le XVIII siècle au moment de leur indépendance. D’après Denis Lacorne : DANS LES COLONIES BRITANNIQUES, LES ANGLAIS COTOYAIENT DES HOLLANDAIS, DES ALLEMANDS, DES SUÉDOIS, DES ÉCOSSAIS OU DES IRLANDAIS, MAIS ÉGALEMENT DES NOIRS LIBRES ET DES ESCLAVES. CHAQUE GROUPE POSSÉDAIT SA RELIGION QUI LA DISTINGUAIT DE CELLE DE SON VOISIN. C’EST LA MULTIPLICATION DES SECTES PLUS QUE LES DIFFÉRENCES ÉTHNIQUES OU CULTURELLES QUI FRAPPAIENT D’ABORD LES OBSERVATEURS DE L’ÉPOQUE. CHAQUE ÉGLISE OU SECTE ENCADRAIT UNE CULTURE PARTICULIÉRE, UNE LANGUE, UNE REGION D’ORIGINE ET DONC UN PEUPLE PARTICULIER. IL N Y AVAIT AUCUNE POPULATION LAÏQUE MAIS L’EXTRÊME FRAGMENTATION RELIGIEUSE N’EXCLUAIT PAS UNE RÉELLE TOLÉRANCE. C’EST CE QU’ON APPELLE EN QUELQUE SORTE UNE DIVERSITÉ UNIFIANTE. Parallèlement, tout près de chez nous, la Charte du Mandé baptisé sur le nom de Kurukan Fugan, au Mali, a, astucieusement, aligné le pacte du contrat social auquel s’inspirerait la déclaration universelle des droits de l’homme plus tard et ultérieurement le contrat social de ROUSSEAU.

Par ailleurs, AMIN MAALOUF, dans son livre intitulé IDENTITÉS MEURTRIÉRES nous dit « la conception que je dénonce, celle qui réduit l’identité à une seule appartenance, installe les hommes dans une attitude partiale, sectaire, intolérante, dominatrice, quelquefois suicidaire, et les transforme bien souvent en tueurs, ou en partisans des tueurs. Leur vision du monde en est biaisée et distordue. »

Conséquemment, nous comprenons, in fine, que les esprits de certains sont des mentalités à la traine qui pondent des appréciations ubuesques aux antipodes des postures républicaines et au mépris de la cohésion sociale. De telles attitudes chauffent des bombes fort pernicieuses qui, à la limite, mitraillent les liens cimentant notre « commun vouloir de vivre ensemble ». Par allégorie, le Sénégal, à l’image d’un croquis sur un pelage contacté d’un lion, qu’un seul poil soit agité, et c’est tout le corps qui vibre. Notre destinée, SUNUGAL, malgré nos distances et nos particularités géographiques d’origine, malgré nos diversités religieuses, nous nous sommes toujours intégrés dans une société mosaïque avec, en toile de fond, un enchevêtrement d’éthnies juxtaposées. Tout ce qui affecte directement l’un de nous, nous affecte tous indirectement.
Bien loin de nous, en effet, l’idée décadente voire moyenâgeuse d’un patchwork. Nous vivons, au total, comme un tout indivisible. N’est-il pas nécessaire de rappeler encore la devise présidant à la création des Etats-Unis, « De plusieurs, un » ? Cet idéal ne correspond-il pas à la nôtre, « Un peuple, Un but, Une foi »? SUNUGAL, le Sénégal, une entité, une, et indivisible, m’a-t-on fantastiquement inculqué. Qui auraient alors l’outrecuidance et la prétention d’ébranler cette certitude analogue au dogme ? Seraient-ils des dadas ! Pourquoi alors avons-nous la fâcheuse habitude du compartimentage de notre Pays ? De grâce, focalisons nous sur ce qui nous unit.
Tant sur le plan éthnique que sur les autres : « je suis peul ». « Je suis diola ». « Je suis sérère. » « Je suis wolof. » « Je suis baînounk ». « Je suis socé ». « Je suis soninké ». « Je suis ballante. » « Je suis mandjack ». « Je suis sarakholé. » « Je suis bambara. » Et patati et patata ! Autant sur le plan géographique : « je suis du sine ». « Je suis du saloum ». « Je suis du fouta. » « Je suis de la Casamance. » « Je suis du niombato.» « Je suis du ndoukoumane » Idem que sur le plan religieux : « je suis khadre ». « Je suis tidjane ». « Je suis mouride. » « Je suis layenne ». Je suis un peul dans un tout devenu UN: le Sénégal et ses diverses et moult éthnies. Et après ? Voudriez-vous érigé des ponts en file de fer barbelés imposant des frontières aux grilles de la République ? Voudriez-vous perforer le tissu social pour en faire apparaitre des interstices d’un bout à l’autre du regard où chaque extrémité serait surveillée par ses propres gardes en faction sous le couvert de la permission éthnique voire régionaliste ?
Répandre ces individualismes, aligner narcissiquement ces appartenances, cloisonnées chantées à tue-tête comme des trophées de guerre ferait-il des uns des citoyens entièrement à part ? Aussi, ces égos surdimensionnés érigeraient-ils les autres au rang de citoyens à part entière ? Ne sommes-nous pas tous des Sénégalais ? En quoi est-il opportun de scruter la pantalon bouffant, THIAYA en langue vernaculaire, peul avec un regard goguenard? Pourquoi stigmatiser le « Ngourbane » du sérère, n’est-ce pas son plat préféré ? Pourquoi inspecter le visage du diola, pour en ériger quoi au juste ? Et dans quel but surtout ? En quoi est-il opportun d’examiner l’accent du bamabara ? Toutes les larmes ne sont-elles pas salées? Dis-moi ? Sinon, voudriez-vous contester la carte nationale d’identité sénégalaise qui, constitue, permettez-moi, la redondance, notre seule et unique identité? Où se trouverait alors la différence ? Nulle part ailleurs. Et c’est mon intime conviction.
Il est vrai que chacun se situe par rapport à son identité. C’en est une chose. Cependant, force est de reconnaitre aussi que chaque identité est composite. Nous sommes une complexité, une confusion dont les ramifications s’éparpillent partout nous permettant de nous découvrir, de nous accepter et de nous enrichir mutuellement. Loin de moi l’idée que nous sommes tous pareils. A ma décharge, je sais que mêmes les frères siamois, chacun est différent l’un de l’autre. Mais malgré tout, je suis convaincu que nous sommes tous des humains. Des sénégalais, de surcroît ! Avec comme devise : UN PEUPLE, UN BUT, UNE FOI ! Il me parait, de ce fait, important de reconsidérer certains discours faisant l’apologie des idées préconçues consistant à cataloguer dans des appartenances étroites des parties ou des éthnies du Pays. Ces discours claniques et stigmatisant peuvent débusquer des fractures oubliées en une résurgence imprévisible de violences. Cette parenthèse muette, mais Ô combien bruissante, il ne faut jamais la forcer. Hélas, au moment où les religieux combattent les incendies, certains politiques, eux, les aspergent de liquides inflammables.
Certaines bouches baveuses, de tous les bords qu’elles soient, écumées de conneries de derniers degrés du siècle, remorquées dans des esprits tordus aux réflexions et idées poussiéreuses sont entrain de sonner la charge du baume sur les blessures. L’on pourrait s’interroger si ces esprits seraient-ils assez féconds au point d’ignorer les motifs des conflits sanglants opposants les Turcs et les Kurdes ? Se souviennent-ils les causes des massacres entre les Hutus et les Tutsis ? Pourquoi les Tchèques et les Slovaques n’ont pas réussi à vivre ensemble ?
En tout cas, il nous faut un sursaut national. Nous devons devenir plus clairvoyants pour faire profiter nos actions à ceux qui en ont besoin. Le Sénégal d’abord.

Enfin, pourquoi nous haïr, après tout ? Dis-moi, si tu sais, cher lecteur !!

M.Bocar DIALLO, professeur de lettres modernes, président du conseil communal de la jeunesse de Ndiaffate, membre du comité exécutif du conseil national de la jeunesse du Sénégal.

  1. Bandoulou, le 28 mars 2021

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